« Ma rencontre avec la famille Ollivier a eu lieu dans la seconde moitié des années soixante-dix du XXe siècle. Mon premier interlocuteur a été Pierre, puis Victorine, et enfin vint le tour d’Henri et de Francis. C’était la période où je sillonnais le Centre-Bretagne en quête de chants, de contes, de proverbes, d’expressions, de croyances et d’us et coutumes encore présents dans la mémoire populaire. Allant d’un village à l’autre et d’une personne à l’autre, je tissais un précieux réseau d’informateurs, de chanteurs et de conteurs. C’est dans ces circonstances que je me suis vu orienté vers la famille Ollivier, de Plussulien, une famille très respectée de Haute-Cornouaille. Les Ollivier étaient gens affables, de belle culture, très attachés à la langue bretonne et aux traditions ancestrales.
Le « gardien du trésor familial » en quelque sorte était Pierre, le plus jeune de la fratrie. Quand j’interrogeais l’un ou l’autre des frères et sœurs, ceux-ci me conseillaient invariablement de voir Pierre, sous prétexte qu’il était le dernier et qu’il avait été le plus proche de leur mère. Par conséquent, il avait appris d’elle beaucoup plus qu’eux. J’en déduis donc que l’essentiel du répertoire familial été transmis par la filière maternelle, comme souvent j’ai pu le constater.
J’ai encore en mémoire la toute première fois où je me suis rendu chez Henri Ollivier à Ker-Alain au Haut-Corlay (Ar Gozh-Korle). Avec quelle générosité j’ai été accueilli ! Après les questions rituelles, sur mes origines et ma filiation, Henri et sa femme m’invitèrent à prendre place à table pour un café-crêpes. Alors on put vraiment échanger sur les raisons de ma venue et « ces choses bretonnes d’autrefois » : elles le plaçaient au rang d’un noble détenteur d’un savoir en devenir. D’emblée, et non sans fierté, Henri se mit à me réciter une belle série de vers rimés qui faisaient le bonheur des veillées et mettaient en valeur les rhéteurs, les orateurs et autres discoureurs de sa jeunesse. Indirectement, il me donnait à comprendre les mots d’esprit qui avaient court dans la société paysanne d’hier. Henri ne cherchait pas à se mettre en valeur, mais bien à se faire l’écho d’une pratique et le mémorialiste d’une relation privilégiée au verbe et à la poésie orale.
Puis vint le temps de la transmission des proverbes, des devinettes, des chansons et des contes. Elle s’est échelonnée sur plusieurs rencontres et autant d’allers-retours entre les frères et les sœurs Ollivier, chacun d’eux faisant appel à ses souvenirs et s’incitant à revisiter sa mémoire. C’est ainsi qu’un jour Pierre fit le déplacement de Plussulien à Saint-Ygeaux, où vivaient mes parents. Il était chargé d’une mission et venait me prier d’aller voir sa sœur Victorine : elle s’était souvenue d’une chanson en breton ! Je me suis rendu chez elle, et j’ai pu enregistrer la seule et unique version de la vie de saint Alexis collectée à ce jour. Quelques jours plus tard, Victorine était hospitalisée à Pontivy. Elle y décéda quinze jours après son entrée. Doue d’he vardono ! »
Yann-Fañch Kemener e-barzh Mémoires du pays Fañch, Les Archives Dormantes, 2017
Ar mel’our
Pierre Ollivier
Diskrivet gant M-A Ollivier
Ur mevel d’a ti Sant-Gobain d’a Baris, un ti bras a wer’ha mel’ourioù ha tout an traoù in gwer, ‘vale ar vro er-se ‘vit gwer’ho marc’hadourezh e vestr. Ha oa arru un noz in Bretagne, ba’n ur bourk bihan e-ven oe ket ostaleri ‘bet. Ha iañ ‘c’houll gant daou re gozh er-se war bord an hent ma vehent bet kontant da loñjo ‘nehoñ.
« Ya ma den mat, ‘lâre ar wreg, ha neuzen, c’hwi peus ket debet ? ‘h it da debo koen ganimp ».
Ha oa reit youd silet dehoñ. N’oa ket james debet met kavet ‘noe mat.
« Ha broman ‘h it da gousket ba e kambr ma mab zo in servij, en e wele ».
Iañ ‘font, kousket e kambr ar mab.
An dei’ arlerc’h da veure, iañ ‘h o’r e doaletenn araok oe reit ur bolennad vat kafe laezh dehoñ gant ur grampouezhenn lardet. Araok mont kuit iañ ‘lâre dehe :
« Peta… Pi’met ‘delan dac’h ?
– Oh se n’eo mann ebet, ‘lâre an hini gozh, se n’eo mann ebet, ker’het, ker’het, losket, se n’eo mann ebet !
– Bon, kenavo neuzen ha mersi ».
Pe oe aï e Pariz ‘noe kontet e istoar d’e vestr :
« Me zo bet ‘ti daou re gozh ahont ha oe jentil. ‘Re-m(añ) ‘noe loñjet ahanon ha maget ahanon. ‘Deus ket goull bout kemeret mann ganin. Met teulet ‘meus pled pe oen ‘h ober ma zoaletenn da veure, oa ket mel’our ebet en ti. Ma oc’h kontant ‘h an da gas or mel’our dehe.
– ya, ya mestra, ‘lâre ar mest’ ».
Iañ ‘tap’ ur c’haer a vel’our, ober ur pakad ha kas ‘nañ d’ar Post. Daou dei àr-lerc’h, ar fakteur i(h) arriout ba e porzh ar re gozh :
« Eh tad-kozh ! Bout ‘peus ur c’holi !
– Ur c’holi ? ‘lâre an hini kozh. Se n’ariva ket bamde’ ‘hat ! Daoust ha peta zo er pakad se ? »
Iañ ‘tap’ nehoñ, ha ‘poz ‘nehoñ war ‘n daol ha ‘tispak ‘nehoñ :
« Oh portred ma zad, ah ya ‘hat ! (…) Oh ma zad paour. Ba men ‘h an-me da lakaat ‘nehoñ, n’an ket da leuskel anehoñ er guizin ka’ ma gwreg ‘lâro n’eo ket mat.
‘H an da lakaat ‘nehañ er sohier ».
Iañ ‘tap ur morzhel hag ur boenchenn, krapat gant er skeul ha stago portred e dad deus ar pignon er sohier. Ha pop kreiste pe oe debet e verenn, gwraet ur c’hornad butun gantañ… ‘h ae d’ar sohier d’ober un dro da welet portred e dad. ‘Benn ar fin e wreg oe i kas goût :
« Peta ra heñzh bamdé’ er sohier er-se, me zo i kas goût moahat, oh me ‘renka goût…
Peta, Jan-Maï, hiri ‘mañ bra’, n’it ket da disoc’ho ho fagod da lost ar vreuje du-se ?
– Ah ! ‘lâre an hini kozh, petra ‘ra hoñzh ‘nom okupiñ deus ma labour… met rezon ‘neus, bra’ eo an amzer, ‘h an da vont ».
Iañ ‘tap e charp ha ‘hont en dro ha ‘tiskenn ar vreuje. An hini gozh oe i sellet er vrenestr. Pe oe aï pell awac’h, hi i(h) lâret :
« Bon, ‘h an da wel’ broman peta zo e kroac’h aze… »
Hi ‘krapat gant ar skeul, ober un dro d’ar sohier, ‘doa ket gwelet mann ebet. Hi ‘h ober un dro ell ha sellet uv’loc’h…
« Ohhh, n’ eo ket koent e vestrez da vat, ha vil eo, ha kozh ! »
Pierre Ollivier d’an 31 a viz Here 1996 (enrollet gant Herve ar Beg)
Notennoù • D'a : deus • Er-se : Evel-se • Pi’met : Pegement • Uv'loc'h : Uheloc'h
Le miroir
Pierre Ollivier
Traduction : M-A Ollivier
Un commis de chez Saint-Gobain1, de Paris, une grande maison qui fabrique des miroirs et toutes sortes de choses en verre, parcourait le pays pour vendre les marchandises de son patron. Il était arrivé la nuit en Bretagne, dans un petit bourg sans auberge. Il demanda à deux vieux, comme ça, au bord du chemin s’ils seraient d’accord de l’héberger.
« Oui, mon bon, dit la femme, et alors, vous n’avez pas mangé ? Vous allez manger le souper avec nous ».
On lui donna de la bouille d’avoine, il n’en avait jamais mangé mais trouvait ça bon.
« Et maintenant vous allez dormir dans la chambre de mon fils qui est au service militaire, dans son lit ».
Il s’en va dormir dans la chambre du fils.
Le lendemain matin, il fait sa toilette avant qu’on lui donne une bonne bolée de café au lait avec une crêpe beurrée.
Avant de partit il leur dit :
« Comment… Combien je vous dois ?
– Oh ça c’est rien, dit la vieille, ça c’est rien, allez, allez, laissez, ça c’est rien !
– Bon, au revoir alors et merci »
En arrivant à Paris il raconta son histoire à son patron :
« J’ai été chez deux vieux là-bas qui étaient gentils. Ceux-là m’ont hébergé et nourri. Ils ne m’ont rien réclamé. Mais je me suis rendu compte quand je faisais ma toilette le matin : il n’y avait pas de miroir dans la maison. Si vous êtes d’accord je vais leur envoyer un miroir.
– Oui oui », dit le patron.
Il prend un beau miroir, fait un paquet et l’envoie à la poste. Deux jours après, le facteur arrivait dans la cour des vieux :
« Eh, grand père, vous avez un colis !
– Un colis, dit le vieux, ça n’arrive pas tous les jours alors ! Mais qu’est-ce qu’il peut y avoir dans ce paquet ?
Il le prend, le pose sur la table et le défait :
– Oh le portait de mon père, ah ouais ! (…) Oh, mon pauvre père. Où je vais le mettre, je ne vais le laisser dans la cuisine car ma femme dira que ce n’est pas bien. Je vais le mettre dans le grenier ».
Il prend un marteau et une pointe, grimpe à l’échelle et accroche le portrait de son père au pignon du grenier. Et tous les midis, après avoir déjeuné, chargé une pipe… il allait dans le grenier faire un tour pour voir le portrait de son père. Finalement, sa femme se demandait :
« Qu’est-ce qu’il fait tous les jours dans le grenier comme ça ? Je me demande en tout cas, il faut que je sache.
– Comment, Jean-Maï, aujourd’hui il fait beau, tu ne vas pas finir tes fagots au fond du verger là-bas ?
– Ah, dit le vieux, qu’est-ce qu’elle a celle-là à s’occuper de mon travail… Mais elle a raison ; il fait beau, je vais y aller ».
Il prend sa faucille et s’en va, descend au verger. La veille regardait à la fenêtre. Quand il était arrivé suffisamment loin, elle dit :
« Bon, je vais aller voir maintenant ce qu’il y a là-haut ».
Elle grimpe à l’échelle, fait un tour du grenier, elle n’avait rien vu. Elle fait un autre tour et regarda plus haut :
« Ohhh, elle n’est pas belle du tout sa maîtresse, elle est moche ! Et vieille ! »
1 C’est l’une des plus anciennes entreprises de France. Fondée par Colbert il y a plus de trois siècles (en 1665).
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